Au crépuscule des mots...

Au crépuscule des mots...

mardi 30 décembre 2014

Etty Hillesum... Une étoile dans la nuit...

Une Vie Bouleversée, suivi des Lettres de Westerbork d' Etty Hillesum.

En plein cœur de l'horreur nazie qui ébranle l'Europe durant la Seconde Guerre Mondiale, une jeune femme juive, Etty Hillesum, entreprend l'écriture d'un journal intime de 1941 à 1943. Il reste un des textes les plus bouleversants de cette sombre période. De son existence à Amsterdam perturbée par la guerre et les rafles, jusqu'à son départ du camp de Westerbork dans lequel elle sera embauchée par les autorités allemandes pour veiller notamment sur les nouveaux arrivants, Etty Hillseum continue d'écrire, sans relâche, seul lien qui la maintient alors au monde. Elle raconte ses états d'âme, nombreux, passant de la dépression à la joie, soudainement, toujours ressuscitée par une croyance inébranlable en l'humanité, malgré les atrocités qu'elle est en train de commettre. Entre documents historiques de premier plan et récits intimes de son quotidien, le journal d'Etty trace surtout les chemins d'une magnifique évolution spirituelle. Cette foi en l'homme, cet enthousiasme, cet élan de vie qui fait courageusement face à l'ombre grandissante d'une mort certaine, tout cela donne aux pensées de cette femme remarquable le son vibrant de l'espoir.


« Notre unique obligation morale, c'est de défricher en nous-mêmes de vastes clairières de paix et de les étendre de proche en proche, jusqu'à ce que cette paix irradie vers les autres. Et plus il y a de paix dans les êtres, plus il y en aura aussi dans ce monde en ébullition. »

Etty Hillesum est une femme au courage exemplaire, son amour de la vie en fait une des raisons les plus vivaces de croire en un avenir plus lumineux. Cette lecture est un changement profond dans une vie, elle permet de relativiser beaucoup de choses, de rendre plus évidente la soif de vivre et l'envie de liberté qui sont en chacun de nous.

« On voudrait être un baume versé sur tant de plaies. »


Un texte remarquable, d'une rare beauté, porteur de paix et de tolérance universelle, à lire impérativement.

mercredi 3 décembre 2014

Les Petits Chevaux de Tarquinia...

Les Petits Chevaux de Tarquinia de Marguerite Duras.


« Sara se leva tard. Il était un peu plus de dix heures. La chaleur était là, égale à elle-même. »

Quand on lit Marguerite Duras, on ne peut pas s'empêcher d'être frappé par les ambiances qu'elle parvient à créer, lourdes et sybillines. Dans Un Barrage Contre le Pacfique, elle nous racontait l'histoire tragique et désespérante d'une famille abandonnée à son sort sur des terres incultivables en Indochine, en proie à la cruauté des agents du cadastre, loin de la prospérité coloniale qu'on leur avait promis. L'intrigue se bâtit alors autour des marées annuelles qui viennent détruire les maigres récoltes. L'atmosphère des Petits Chevaux de Tarquinia est tout aussi suffocante et inquiétante, voire plus sensible encore. En effet, la chaleur terrasse, dès le début du roman, les différents personnages et instaure une ambiance caniculaire où le désir et les tensions grandissent au fur et à mesure des journées. Des non-dits, des paroles inachevées, des regards soupçonneux, des élans charnels hésitants... des sentiments et des envies inavoués se révèlent peu à peu à mesure que le soleil, implacable, se dresse sur ces paysages brûlés.

Duras distille au fil de son récit des tensions qui apporteront au roman toute sa force singulière et son étrange attrait. Nous suivons notamment les faits et gestes de deux couples, apparemment en pleine interrogation. Lorsqu'un inconnu débarque en ces lieux de villégiature maudits, le désir enflamme les chairs ennuyées et embrase à nouveaux les feux anciens, depuis longtemps oubliés, de l'amour.

« - Moi, dit Ludi, je crois que le mal vient de ce qu'on fait tout trop tard […].
- Sans doute, dit évasivement Diana, mais qu'est-ce qu'on ne fait pas trop tard dans la vie? »


L'ennui et la passion. Les remises en question et les actes. Duras délivre ici un huis-clos brûlant où le désir s'exprime dans toute sa complexité.

dimanche 30 novembre 2014

Yourcenar, vraiment immortelle...

Marguerite Yourcenar



Ce mois-ci, Le Magazine Littéraire prête sa couverture de décembre à l'une des figures les plus emblématiques de la littérature du XXe siècle, Marguerite Yourcenar. Cette écrivaine attachante a exploré durant toute sa vie les possibilités d'entremêler les genres, s'affranchissant ainsi de toute tentative d'enfermement, forte de son inextinguible soif de liberté. C'est par son magnifique et troublant portrait de l'empereur Hadrien qu'elle va révéler tout son art et être reconnue comme une femme de lettres incontestable. Mémoires d'Hadrien reste aujourd'hui son roman le plus célèbre, le plus commenté, le plus aimé. Comment ne pas se confondre d'admiration et de tendresse pour ce portrait plein d'humanisme, de sagesse, de sentiments profonds et déchirants? Toutes les douleurs d'un homme, ses choix, ses faiblesses morales... Yourcenar marque les esprits, non seulement par la force de son écriture, mais aussi par la justesse de ses émotions.

J'aimerais également mentionner le magnifique Alexis ou le Traité du Vain Combat dans lequel un homme écrit une longue lettre à sa femme afin de lui révéler son homosexualité, et lui expliquer sa véritable nature contre laquelle il ne peut pas lutter car elle est justement naturelle. Ce vain combat que raconte Yourcenar, dans une langue troublante de vérité, très sensible, éclaire encore une fois son intelligence et sa quête de comprendre le monde, sans oublier son avant-gardisme et son ouverture d'esprit.


À découvrir, ou à relire, Marguerite Yourcenar mérite assurément une belle place dans votre bibliothèque!

vendredi 28 novembre 2014

Un été avec Camus...

Noces suivi de L'été d'Albert Camus.



« Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes [...] »

Dès les premiers mots, Camus donne le ton général de ces deux essais, rassemblés ici en un seul volume, et qui concentrent plusieurs textes courts écrits à différents moments de sa vie, notamment lors de la seconde guerre mondiale. C'est un hymne à la nature, à l'éblouissement naïf et originel, que l'auteur choisit d'illustrer au détour d'une promenade estivale dans les ruines de la Tipasa antique. Bordé d'asphodèles et de géraniums sanguinolents, le forum de la vieille ville éveille un profond sentiment de liberté, doublé d'une profonde mélancolie, celle des temps les plus reculés, qui prend sa source dans la contemplation des beautés du monde.

Loin du fourmillement des grandes métropoles européennes, Camus nous transporte dans un paysage pierreux, où le soleil règne en maître absolu sur ses habitants accablés par un ennui ancestral, le Minotaure de ce labyrinthe de poussière. Ce voyage méditerranéen promet un éblouissement unique, porté par une écriture hautement sensuelle, à la limite de l'ensorcellement. Un retour aux sources du bonheur premier, de ce bonheur depuis longtemps oublié par les horreurs des guerres, par les transgressions permanentes de l'humanité.

« Je doute parfois qu'il soit permis de sauver l'homme d'aujourd'hui. Mais il est encore possible de sauver les enfants de cet homme dans leur corps et leur esprit. Il est possible de leur offrir en même temps les chances du bonheur et celles de la beauté. » (Prométhée aux Enfers)

C'est dans la beauté et la contemplation originelle que Camus entend bien retrouver une certaine paix intérieure, un accord entre l'homme et la nature, ou plutôt une désintégration de l'être dans la nature, dans une dernière étreinte, dans une dernière communion.


« Au milieu de l'hiver, j'apprenais enfin qu'il y avait en moi un été invincible. » (Retour à Tipasa)

(Vue de Tipasa)