Au crépuscule des mots...

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mardi 15 septembre 2015

Un amour impossible de Christine Angot.

Un amour impossible de Christine Angot.


C'est avec une certaine réserve que j'ai ouvert ce roman de la rentrée littéraire partagé entre des avis élogieux et des avis incendiaires où l'auteur, Christine Angot, semble souffrir encore d'une réputation sulfureuse et sans substance, tant son écriture serait vide.
Et c'est le contraire que j'affirme ici en fermant Un amour impossible où l'auteur remue les tragédies du passé par le biais d'un langage dépouillé, d'une simplicité désarmante et pourtant, fort et convaincant.

En effet, Christine Angot dresse une nouvelle fois le portrait d'une mère, et d'un père, les siens, et fait surgir sans artifices les douleurs attachées à cette relation empoisonnée. On y découvre la judéité de Rachel, sa mère, qui pose problème au sein d'une histoire d'amour avec Pierre, le père, qui va refuser de reconnaître l'enfant, Christine. Ce trio, où l'amour et la haine se font et se défont sans cesse, va accueillir une tragédie qui marquera à jamais l'auteur et qui a déjà fait l'objet de certains de ses romans antérieurs, l'inceste.

Par une plume que certains appelleront «blanche», où le style durassien semble apparaître par son indescriptible simplicité, voire son étonnant dépouillement, cette plume sans grande profondeur, ciselée à l'extrême, donne au roman une angoisse croissante qui verra sa solution énoncée aux dernières pages. L'écriture d'Angot, dans ce roman, est parfaitement maîtrisée, elle plaira ou ne plaira pas, c'est certain, mais l'émotion qui s'en dégage, les images qu'elle appelle, sont elles, palpables et douloureuses.

C'est une des bonnes surprises de cette rentrée littéraire 2015, un très bon roman (peut-on vraiment parler de roman avec un tel emprunt à l'autobiographie?) qui ne vous laissera pas indifférent.

vendredi 11 septembre 2015

Petits meurtres entre linguistes...

La septième fonction du langage de Laurent Binet.


L'intrigue du nouveau roman de Laurent Binet est réjouissante: Roland Barthes, célèbre sémiologue français, est assassiné, renversé par une camionnette le 25 février 1980, en sortant d'un déjeuner avec François Mitterrand. La raison de ce meurtre subtilement orchestré est la suivante: Barthes détient à ce moment-là un document qui pourrait changer les fondements du langage et devenir un formidable outil de pouvoir, il s'agit de la septième fonction du langage définie par Jakobson, autre linguiste réputé. Une enquête et une course-poursuite infernale s'engagent alors entre un commissaire dépassé par le monde intellectuel des années 80, accompagné de Simon, un jeune universitaire spécialisé dans les sciences du langages, et les tueurs de Roland Barthes qui essayent par tous les moyens de récupérer ce fameux document, volatilisé après l'accident.

Ce roman prend alors la forme d'un thriller savoureux où les faits réels deviennent largement romancés par la fantaisie et le talent d'écrivain, incontestable, de Laurent Binet, que j'avais déjà fort apprécié à la lecture de son premier excellent roman, HHhH, qui raconte l'attentat qui a été fomenté contre le dirigeant SS Reinhard Heydrich durant la Seconde Guerre. Ce roman met en scène tout un pan de la vie intellectuelle et culturelle des années 80 avec des personnages réels, plongés dans des situations absurdes, librement sorties de l'imaginaire loufoque de l'auteur, qui sont parfois fort comiques. Ainsi on retrouve Michel Foucault (dans un sauna gay!), le couple Philippe Sollers et Julia Kristeva (absurdes au possible!), Umberto Eco, Jean-Paul Sartre, Louis Althusser, et le ridicule BHL et sa sempiternelle chemise blanche!

Ce roman s'annonçait alors comme une réussite. Si la première moitié du roman donne un ton jubilatoire et part dans un joyeux bordel bien ficelé, la seconde partie quant à elle s'égare malheureusement dans des envolées intellectuelles et philosophiques qui viennent considérablement alourdir le récit, et le rendent, souvent, très obscur. En effet, les personnages déclament des tirades inspirées, d'ordre souvent politiques ou culturelles qui, si elles ne sont pas connues véritablement du lecteur, paraissent alors insipides et opaques. C'est dommage. On a non seulement l'impression de passer à côté du texte et de sa tonalité apparemment cynique, mais en plus on se sent cruellement lésé car on ne semble pas convier à la rigolade générale. Le roman prend alors une tournure déplaisante, où Laurent Binet s'enfonce dans son propre délire et s'exerce à des joutes oratoires (par ses personnages) peu compréhensibles, sinon de lui-même. Pour montrer, inutilement, toute l'étendue de sa grande culture politique et culturelle des années 80? Je ne l'espère pas.

Déçu par ce roman car j'aime beaucoup les talents d'auteur de Laurent Binet et sa façon de raconter les choses. Mais avec La Septième Fonction du Langage, il m'a perdu en cours de route, c'est dommage, mais j'attends tout de même son prochain roman avec impatience.

mercredi 9 septembre 2015

Portrait d'un homme sans existence...

 Strangulation de Mathieu Larnaudie.


 Dans le Paris du début du XXe siècle, alors que la littérature est en pleine ébullition après la déferlante symboliste et décadente, un jeune homme essaye tant bien que mal de survivre à son ennui. En poste de fonctionnaire à la préfecture de la Seine, Jean essaye de trouver un sens à son existence, accablé par une mélancolie qui n'est pas sans rappeler l'exaspérante et désespérée solitude de Des Esseintes, héros décadent par excellence que Huysmans fera naître sous une plume baroque et profondément ouvragée. 
Et pour cause, ce roman de la rentrée littéraire (en poche) se construit comme un hommage à la littérature fin-de-siècle, servi par une imagerie symboliste où les fantômes de Charles Baudelaire et de Rémy de Gourmont ne sont jamais très loin. Mathieu Larnaudie, avec «Strangulation» dresse le portrait romancé d'un poète et écrivain bordelais malheureusement, et injustement, mal connu, à savoir Jean de La Ville de Mirmont.

Partant des points forts de sa biographie officielle, Mathieu Larnaudie réécrit l'existence de ce jeune homme désoeuvré à la lumière des dernières lueurs du décadentisme, sous une plume très ornée (trop ornée!). En effet, le problème se situe ici, dans cet étalage trop baroque et sans charme de la langue qui vient obstruer et saturer le récit. On distingue sans doute ici une volonté de l'auteur de coller aux virevoltes stylistiques et langagières des écrivains fin-de-siècle (doués pour la surenchère verbale), mais ça tombe à plat, sans grande originalité, versant parfois dans le pastiche, qui semble malheureusement involontaire.

Cela étant, ce roman est un vrai plaisir de lecture, et permettra de découvrir ou redécouvrir l'oeuvre de Jean de La Ville de Mirmont.

Jean de La Ville de Mirmont. (1886-1914), mort au combat durant la première guerre.

dimanche 6 septembre 2015

"Il était une ville..."

 "Il était une ville" de Thomas B. Reverdy.


C'est avec un roman de Thomas B. Reverdy que j'entame cette rentrée littéraire 2015, avec pas moins de 589 nouveautés sur les tables des librairies. Le choix est difficile mais certains titres savent attirer l'attention, et c'est le cas avec «Il était une ville». C'est une jolie surprise de 250 pages qui saura capter votre intérêt dès les premières lignes.

Nous nous retrouvons dans les rues désertes de l'ancienne grande ville de Detroit aux Etats-Unis, vouée à la destruction lente et inexorable d'un abandon brutal. Lézardée par la crise financière de 2008, la métropole se fissure de partout, ses bâtiments s'écroulent sur eux-mêmes, les habitants fuient ses longues avenues éteintes. C'est le paysage apocalyptique d'une ville fantôme, et pourtant, quelques habitants y trouvent encore la force de surmonter cette banqueroute générale, notamment une bande de gosses des rues et un employé français fraîchement débarqué dans un immeuble abandonné pour essayer de relancer une entreprise internationale. C'est dans ce contexte misérable que s'ouvre et se termine le roman, et l'auteur parvient à faire renaître de ces ruines funestes une formidable vitalité.

Les personnages sont profondément attachants et parcourent des paysages détruits au charme insoupçonné, subtilement décrits par l'auteur dont la plume est gorgée de délicatesse et d'images poétiques. Cet homme paumé et ces enfants sauvages vont mener des existences parallèles qui finiront bien par se croiser et donner à cette histoire perdue d'avance l'éclat d'un éternel élan vers la vie.

Un bien joli roman.