Au crépuscule des mots...

Au crépuscule des mots...

lundi 31 août 2015

Comment tuer le père?...

 Le crépuscule d'une idole de Michel Onfray.


 Lorsque Michel Onfray prend tout au pied de la lettre, cela donne un ouvrage méchamment incendiaire à l'égard de Freud et de la psychanalyse. En effet, le philosophe se propose de déboulonner la statut du père de cette discipline, à juste titre légendaire, mais pas uniquement littéraire et fantasmatique. L'auteur l'assassine sans détour possible, avec une grande conviction, de façon alors performative (ce qu'il reproche d'ailleurs à Freud).

En étant honnête, on dira que ce pamphlet est un plaisir de lecture, il se lit admirablement bien et reste un ouvrage passionnant de bout en bout. Onfray déploie une écriture didactique, pédagogique souvent, en tout cas argumentée et étayée. Cela dit, on lui reprochera sa lecture beaucoup trop linéaire du texte freudien, sans tenir compte des subtilités ou des autres niveaux de lecture qui peuvent y être perçus. La tonalité sans cesse ironique de l'écriture d'Onfray frôle parfois l'hystérie (!), on dirait bien que le philosophe se complait à détruire de A à Z la psychanalyse, et notamment son plus illustre représentant. Il semble emporté dans cette quête effrénée de réduire la pensée freudienne à une vaste plaisanterie, sans même nuancer ses propos, ce qui les rend alors, parfois, fragiles et contestables.
Les arguments les plus souvent employés sont des extraits de la correspondance de Freud, notamment avec Fliess, et Onfray ne semble pas tenir compte des fluctuations nécessaires de l'élaboration de la théorie chez un penseur, avec toutes les contradictions et les erreurs que cela suppose. Il ne prend pas garde non plus de considérer Freud comme... un homme! Les défauts, bien sûr qu'il devait en avoir. Des traits de caractère dérangeants, pouvant prêter à polémique, bien sûr qu'il devait en avoir. Baudelaire n'était-il pas assurément misogyne? Cela ne l'empêche pas d'être le plus grand poète de l'ère moderne et l'un des penseurs les plus importants de la littérature. Mais de là à considérer Freud comme un misogyne, un homophobe «ontologique» (on appréciera cette tournure pour ne pas dire complètement qu'il l'était), un sympathisant fasciste, un antisémite, un mégalomane, un père incestueux, et j'en passe... de là à le considérer, pour un seul homme, sous toutes ces casquettes foncièrement déplaisantes, il semble que Onfray soit allé un petit peu trop loin. La nuance et le manque de contextualisation font défaut à l'entreprise de Michel Onfray, ce qui aurait été appréciable pour mieux comprendre, véritablement, Freud. Cette destruction du père de la psychanalyse est bien trop systématique pour être véritablement cohérente.

Enfin, un dernier point qui peut prêter à sourire. Onfray affirme que Freud n'était motivé que par la célébrité et l'argent (peut-être est-ce vrai), mais quand est-il de ses propres motivations en écrivant un livre qui démonte délibérément l'une des penseurs les plus commentés depuis un siècle, et qui, assurément a été un succès littéraire prévisible? Onfray ne semble pas le mieux placé du monde pour critiquer et mettre à mal cette recherche de l'argent et de la célébrité... Il a réussi, il a lui-même tué le père et s'est assuré une belle place parmi les contestataires lumineux de ce XXIe siècle!

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